1/ Iocasta, Justine, pourriez-vous présenter en quelques mots ?
Iocasta Huppen : Je suis auteure de poésie, chroniqueuse radio, animatrice d’ateliers d’écriture et l’initiatrice du Kukaï de Bruxelles qui est un cercle littéraire. Avant cela, j’étais chargée de projets pour différentes institutions, car j’ai une licence en économie, obtenue en Roumanie, et un master délivré par la Solvay Brussels School. C’est en 1998 que je suis arrivée à Bruxelles pour m’établir avec mon mari qui est Belge et scénariste de bandes dessinées. Ensemble, nous avons deux enfants : Anton, 15 ans et Aline, 10 ans. J’aime lire, écrire, voyager avec ma famille et me retrouver régulièrement au plus près de la nature.
Justine Gury : Je suis originaire du nord de la France et les crayons ont rapidement fait partie de ma vie. J’ai étudié en école d’Art et de Design et ensuite à la Sorbonne en Expression Plastique. C’est durant ma dernière année d’étude que j’ai commencé à réfléchir au livre comme support de mes dessins. J’aime qu’un univers se développe en tournant des pages, que l’on puisse les manipuler, que l’on puisse ouvrir un livre, le refermer, le transporter avec soi. Je trouve que le livre est un objet très personnel qui donne la place nécessaire pour développer un univers, une pensée. J’aime me plonger dans des mondes et des univers différents. Je suis passionnée par la couleur et j’aime trouver les miennes, chercher celle qui sera la plus vive, la plus lumineuse, trouver le bon contraste, le plus beau papier. J’aime composer avec la transparence des formes et des couleurs. 
Aussi, depuis quelque temps je réfléchis beaucoup à la littérature jeunesse et à comment mes dessins peuvent se mêler à des récits pour enfants. Je ne m’arrête jamais de griffonner des choses, je suis toujours en train de chercher, encore et encore. 
2/ Iocasta, qu’est-ce qui vous a amenée à la poésie, et surtout à la poésie japonaise ? Qu’est-ce que la poésie japonaise vous permet de dire sur le monde ?
I. H. : La poésie me plait depuis toujours. Mon pays d’origine étant un pays de poètes, j’ai été abreuvée à cette source depuis mon enfance. Et c’est justement avec cet état d’esprit qu’en 2013 j’ai fait la rencontre d’Akiko Tsuji, une Japonaise qui vivait à Bruxelles avec son mari et leur fille. C’est grâce à Akiko que j’ai commencé à m’intéresser à ce genre si particulier qu’est le haïku. Quelques années auparavant, j’avais entamé la rédaction de nouvelles pour enfants mais, dès l’écriture de mes premiers haïkus, je me suis sentie tout de suite à ma place.
La poésie japonaise m’a permis de satisfaire un goût pour la brièveté dans l’écriture. J’aime l’idée d’avoir entre mes mains, l’essence de quelque chose. Par exemple, les citations que j’inscris après la lecture d’un livre, sont pour moi, un concentré de cette lecture. Dans cet ordre d’idées, les détails omniprésents dans la nature représentent autant de concentrés. En tant que poète-haïjin qui a eu accès à cette source, j’essaie à mon tour, de l’exprimer au plus juste, avec des mots simples. Concentrer quelque chose qui est déjà concentré, c’est en cela que réside la difficulté de l’écriture des haïkus. Mais je dirais qu’il suffit juste de se poser et de regarder autour de soi.
3/ Les poèmes et les illustrations s’accordent magnifiquement, comme s’ils avaient toujours existé ensemble. Ils nous plongent dans un univers très sensoriel, pleinement dans l’élément. Justine, vos illustrations sont très colorées, pleines de vie, de chaleur, de nature. Qu’est-ce qui a nourri votre univers ?
J. G. : À la lecture du manuscrit de Iocasta, je me suis rapidement imprégnée de son univers. Je pense qu’il y a de nombreux liens entre sa sensibilité et la mienne. Je me suis retrouvée très naturellement dans ses poèmes et j’avais envie de dialoguer avec eux, que mes dessins tiennent leurs mains. Je pense aussi que cette évidence vient du fait que le sujet de ce recueil participe très fortement à ce qui m’inspire en tant que créatrice. À chaque poème, je me voyais vivre ces moments dans cette maison d’été et ce sont toutes ces découvertes, ces contemplations, cette sensorialité qui nourrissent ma création. C’était très intéressant pour moi d’illustrer et de rendre hommage à ce qui m’inspire à travers les yeux et les mots de Iocasta. 
4/ Parlons un peu de voyage. Maison d’été nous offre un voyage dans nos souvenirs et images d’enfance, un voyage des sens par ses odeurs, ses images, par le vent, les ombres, les bourdonnements… Un voyage qui ne réside pas dans le mouvement mais dans le temps et l’observation. Un voyage comme une pause. Quelle est votre approche du voyage ?
J. G. : Mon approche du voyage ne réside pas du tout dans le mouvement. Mes voyages sont plutôt très immobiles. Par exemple, je ne ressens pas le besoin de partir à l’autre bout du monde pour voyager. Mon défi quotidien est plutôt de faire de ce qu’il y a devant moi quelque chose qui m’emmène ailleurs. C’est une autre manière de regarder ce qu’il se passe sous nos yeux, de faire appel à l’imagination. J’essaye de déplacer sans cesse mon regard et le dessin m’aide beaucoup à ça. Je pense que ces voyages immobiles me rapprochent encore plus de mon quotidien, des autres et de ma création.
I. H. : Je ne suis pas une grande voyageuse. Je connais pour ainsi dire sept pays. La Roumanie, bien sûr, mon pays natal mais aussi le Maroc. J’y ai vécu enfant pendant deux ans à Oujda, au début des années 1980. J’entretiens avec ce pays une relation tendre et nostalgique. Viennent ensuite des pays aux séjours courts mais heureux : l’Espagne, l’Italie, la Suisse et le Canada francophones. Et j’ai laissé volontairement pour la fin, la France. Nous y allons quasi chaque été dans le Limousin rendre visite à mes beaux-parents qui ont une maison de vacances. C’est ce magnifique cadre qui m’a offert l’occasion d’écrire Maison d’été. Pour moi, c’est un endroit idéal pour se ressourcer. Et, comme je me retrouvais à la source des images, c’est en toute logique que j’ai eu envie d’en parler. Faire état de la nature dans ce qu’elle a de plus humble et simple fut mon « sacerdoce » au temps de l’été.
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